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©Randonneur au refuge du Pigeonnier|Monsieur Aventure
Experience

Refuges en Valgaudemar

Le Champsaur Valgaudemar, Hautes-Alpes, un territoire qui m’est totalement inconnu et dont le nom m’est parvenu pour la première fois en avril dernier. Éternellement à la recherche d’un sol nouveau et sauvage à explorer, d’une région qui sépare fermement l’agitation des villes de la douceur de la nature, Le Champsaur Valgaudemar semble répondre à cette quête.

Il sera ma terre d’exil pour ces prochains jours.

AU REFUGE DU PIGEONNIER

La Vallée du Valgaudemar, au cœur du parc des Écrins, impressionne. L’éclat brut et rugueux de ses montagnes grave un paysage impressionnant. Une seule route s’engouffre dans la cuvette depuis la Chapelle-en-Valgaudémar, atteignant le point central de nombreuses randonnées : l’hôtel du Gioberney.

Je suis accompagné de Gaetan et c’est ici que l’on démarre la marche jusqu’au refuge du Pigeonnier. Remontés à bloc, on file droit, sans se poser de questions et en 1H30 seulement, on atteint la bâtisse. Perdue et seule, elle s’agrippe sur le flanc d’une falaise, solide face au vent qui s’est levé. Malgré la sauvagerie de rocs, d’éclats de bourrasques qui peuvent menacer à cette altitude, le refuge reste calme et les quelques lueurs chaudes qui baignent à l’intérieur appellent au réconfort. Dedans, le parfum d’une soupe chaude émane de la cuisine, quelques tables sont disposées dans la pièce principale et à l’extérieur, un panorama éblouissant se déploie. Olivier, le gardien, tablier au corps, sort des fourneaux pour nous accueillir chaleureusement. On dépose nos affaires, on enfile des vêtements secs avant de se mettre autour de la table. La définition la plus claire que je puisse donner à cet instant tient en un mot : un délice.

Alors que nous venons de terminer la soupe, une lumière éclate dans le ciel. La teinte orangée inonde la vallée et se lance dans une danse divine, rythmée par l’altercation entre les nuages. Je prends mon appareil et sors en vitesse. Je ne peux pas manquer ce spectacle.

Vers le Lac Bleu

Au petit matin, s’extirper de la douche est une épreuve difficile. Je suis frigorifié, les températures approchent de zéro et l’énergie solaire qui alimente le refuge ne permet pas de chauffer l’eau correctement. Mes pieds sont nus sur le carrelage humide de la salle de bain, j’endosse alors rapidement mon pantalon, une polaire avant de rejoindre Gaetan et Olivier pour le petit-déjeuner. Dehors, le ciel s’est ouvert laissant les premiers rayons du jour colorer le glacier de la Grande Roche. Je ferme mon sac avant de remercier le gardien pour son hospitalité.

J’ai une admiration pour cette personne. L’idée d’être à l’écart de la civilisation, tel un ermite au fond des bois, ayant comme mission d’héberger les marcheurs usés me semble noble. Bien qu’Olivier vit ici avec sa femme habituellement, je salue le courage de se tenir à distance et de vivre dans un système rudimentaire qui respecte l’environnement.

Nous longeons désormais la paroi vertigineuse qui se trouve dans la continuité du refuge dans le but d’atteindre le flanc opposé. Sur le chemin, la nature s’est mise à l’œuvre. C’est dans une sorte de complexité ordonnée que les formes et les couleurs créent des merveilles, comme ici, la Linaigrette née dans le creux d’un marais alpin. Il fait bon, le temps est agréable et le Lac Bleu apporte une touche rayonnante à la journée.

LE COL DE VALLONPIERRE

La nuit passée à l’hôtel du Gioberney a rechargé mes batteries et je suis désormais prêt pour attaquer la randonnée jusqu’au col de Vallonpierre situé à 2 600 mètres d’altitude.
Je suis seul aujourd’hui, projeté dans l’immense atmosphère. Le sillon que j’emprunte s’enfonce davantage dans la gueule du Valgau et me piège entre les colosses rocheux. Ce lieu ne pourrait appartenir à personne. Trop immense, trop changeant, trop ingérable, et pourtant sa beauté mélancolique m’empêche de penser à autre chose, de penser au quotidien, celui qui vous occupe l’esprit nuit et jour. Non, les titans bloquent le passage aux idées habituelles, ils protègent un temple paradoxal pour l’homme : il est à fois hostile et nécessaire. Il apprend à vivre, à nous montrer le chemin pour une vie intense. Difficile, mais véritable.

À la première étape de la marche, au refuge de Vallonpierre, je suis épuisé. Mon énergie a drastiquement baissé, j’ai la tête qui tourne et mes jambes tremblent. La faim est la principale raison de mon état ridicule. Je mange le sandwich et les quelques vivres apportés mais cela ne suffit pas. Il me reste encore beaucoup à faire.

Je décide de rester quelques heures au refuge, assis à une table en terrasse. Je laisse le soleil caresser mon visage, rééquilibrer mes forces puis j’ouvre un livre, un café à la main. Je me sens bien.

Il est 16h et il est grand temps de reprendre la marche. Je n’ai rien avalé depuis mon repas du matin mais je sens que l’énergie que j’ai partiellement récupérée peut me tirer vers le haut. Je me retrouve de nouveau seul, dans le règne de l’immensité, sans bordure, qui ne prenait dimension humaine que par la trace du sentier. Marcher, rencontrer, bondir hors de l’habituel, voilà ce qu’il faut pour exister ! À ce moment-là, ce n’est pas ce que je me dis bien sûr. Je suis trop fatigué pour ça, mes forces ont encore faibli. J’en ai juste conscience et je l’écrirai une fois mon corps reposé. Mais dans cette nature, quelque chose me disait que je pouvais être qui je suis. À bas les jugements, à mort les pressions infimes ou insensées ! Je deviendrai la flamme, le rouge flamboyant de mon âme, celui que j’ai toujours voulu être ! Je suis déterminé, j’ai une feuille de route qui me tient debout quotidiennement, la catharsis en est l’instrument, la nature mon guide.

Mes pensées ne cessent de bavarder, comblant l’épuisement physique que je subis. Encore quelques pas pourtant et j’y suis… Allez Hugo, tu peux le faire, appuie-toi sur les bâtons de marche, contrôle tes jambes, souffle, respire, tu peux apercevoir le col, la finalité de cette journée, l’aboutissement de tes efforts, la limite de ton énergie. La dernière.

Mon sac gît sur le sol. Mes bâtons roulent lentement sur les cailloux. Le silence m’encercle. Je suis assis, je ne m’en étais pas rendu compte. J’ai besoin de comprendre. Je lève la tête et aperçois le parc des Écrins, je veux dire, je surplombe le parc des Écrins. Je suis au plus haut de mon ascension, j’ai atteint le col de Vallonpierre ! Enfin ! J’ai accompli une ascension que je ne pensais pas accomplir en milieu de journée. J’ai écouté mon corps, je lui ai donné le minimum pour avancer, j’ai persévéré et je suis désormais là-haut. Je dois savourer cet instant de grâce.

De retour au refuge de Vallonpierre, je déguste un repas préparé par le gardien. Je le remercie mille fois avant de rejoindre le dortoir. Je suis fatigué mais heureux.

LA DESCENTE

“L’orage devrait éclater dans l’après-midi, ne vous inquiétez pas pour ce matin !”. Sur ces mots prononcés par les randonneurs et le gardien, je retrouve le sentier. La nuit fut confortable et le petit-déjeuner copieux. J’ai retrouvé mes forces et j’avance désormais avec fougue, mais seulement 30min après mon départ, le ciel devient menaçant. La férocité de la nature est en avance, ce n’est pas ce qu’il était convenu ! À peine ai-je le temps de mettre mes vêtements imperméables que des trombes d’eau d’une taille incommensurable s’écrasent sur moi. Un éclair fend le ciel en deux, telle la lame d’une hache aiguisée s’abattant sur un morceau de bois. La colère qui sévit dans l’atmosphère n’est plus à prendre à la légère. Je presse le pas et m’engage dans une course contre la montre rythmée par le ciel qui déverse plus violemment sa rage au fil des secondes. J’ai besoin de m’abriter. Je m’élance alors dans une fuite interminable lorsque j’aperçois un rocher au loin. Je me cale sous sa paroi, dans une fente étroite, seul rempart entre mon être minuscule et la fureur du dehors. Seulement voilà, le bloc de plusieurs tonnes est retenu par une simple palette en bois, un seul mouvement et il pourrait basculer vers moi. Un nouvel éclair déchire les cieux à une vitesse effrayante. Je ne peux pas rester ici. Je me rue à nouveau sur le chemin, défiant ce déluge incessant qui ne cesse de projeter des rafales à une vitesse terrible, quand soudainement, une cabane de berger se dresse devant moi. Au niveau du portail je croise la propriétaire qui m’invite à m’abriter sous son porche. Je retrouve là-bas un couple d’Hollandais croisés dans le refuge hier soir. On attend sagement que la tempête cesse avant de reprendre la route ensemble. Ouf !!!

De retour à l’hôtel, je rejoins Gaetan. J’ai besoin de repos et surtout de sécher. On rentre alors en ville, à Ancelle. Une nuit confortable m’attend à l’Hôtel des Autanes ,dans le Champsaur cette fois. Quelle joie que de retrouver un peu de confort.

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